Théodore Botrel - Les petits graviers

À quinze ans à peine, aux bancs de Terre-Neuve
Pauvres p'tits graviers, pourquoi partez-vous ?
Dame ! Il le faut ben, notre mère est veuve
Et l'on n'a plus d' pain à manger chez nous !

Quand vient février, vers les mers lointaines
Pauvres p'tits graviers, combien partez-vous ?
On est, pour le moins, sept à huit centaines
Qui s'en vont là-bas mais n'en r'viennent pas tous !

La charge complète, à la côte bretonne
Pauvres petits graviers, quand reviendrez-vous ?
Partis en hiver, on rentre en automne
Nous ne r'verrons plus les étés si doux !

Sortis des bateaux, le cœur tout malade
Pauvres p'tits graviers, où débarquez-vous ?
Entre le Cap Rouge et l'île Langlade
C'est l'Ile aux Chiens qu'est notre rendez-vous !

Pendant les neuf mois que durent les grandes pêches
Pauvres p'tits graviers, là, qu'y faites-vous ?
Nous fendons en deux les grosses morues fraîches
Les ébrouaillons et leur coupons l' cou !

Un pareil travail doit vite vous abattre ?
Pauvres p'tits graviers, quand reposez-vous ?
Nous sommes debout vingt heures sur vingt-quatre
Pour nous réveiller, on nous fout des coups

Mais, pour ranimer vos forces abattues,
Pauvres p'tits graviers, dites, que mangez-vous ?
On nous fait bouillir des têtes de morues
Mais ça n' remplace pas une bonne soupe aux choux !

Quand nul ne vous aime et ne vous écoute
Pauvres p'tits graviers, comment vivez-vous ?
Nous buvons, d'un coup, quéques boujarons d' goutte
Et l'on s' croit heureux lorsque l'on est soûls

Mais en revenant dans vos maisonnées,
Pauvres p'tits graviers, qu'y rapportez-vous ?
Monsieur l'armateur nous paie nos journées
À raison, comme ça, de sept à huit sous !

Après tant et tant d'horribles misères,
Pauvres p'tits graviers, rembarquerez-vous ?
Dame, oui... Nous faisons comme ont fait nos pères
Et, plus tard, nos gâs feront comme nous !

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les graviers : main d'oeuvre chargée du séchage des morues